Introduction

L’utopie repose sur l’idée qu’une société nouvelle peut être construite par les hommes, sans qu'ils fassent appel à Dieu ou à la Providence. Cette foi totale en l’homme est caractéristique de la Renaissance et explique pourquoi l’utopie est vraiment née à cette époque.

Le texte que publie Thomas More est à la fois un récit de voyage et une description de société idéale. Elle est une œuvre de fiction qui refuse tout lien avec la réalité, mais qui exclut aussi tout merveilleux : ce ne sont pas des éléments parfaits qui rendent les lieux habitables, mais c’est la cohérence du projet qui apporte le bonheur. Ces deux dimensions, fiction et description d’une société idéale, apparaissent dans les utopies de l’époque moderne et doivent connaître un certain équilibre, sans quoi il ne s’agit plus d’utopie.

A la Renaissance, L’Utopie de Thomas More n’est pas le seul texte décrivant une société idéale. Au XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, quand la répression à l’égard des protestants se fait lourde, plusieurs récits de voyages fictifs allient exotisme et dimension critique, en particulier à l’égard de la religion chrétienne. Durant toute l’époque moderne, certains auteurs, fascinés par la lune, font du satellite de la terre le lieu où évolue une société imaginaire. Au XVIIe siècle, le télescope, facilitant l’observation céleste, relance l’idée que la lune peut être habitée et permet d’envisager des voyages d’exploration, semblables à ceux de la Renaissance. Contrairement aux textes utopiques, dans ces descriptions des populations habitant la lune, la dimension merveilleuse l’emporte le plus souvent, même si l'approche critique est rarement totalement absente. Au contraire, dans certains écrits utopiques, comme Swift avec son Gulliver, la dimension satirique prend le pas sur le projet de société.

Au XVIIIe siècle, apparaît ce qu’on appelle plus tard, en s’inspirant de la construction de More, une uchronie (Charles Renouvier) ; il s’agit, conformément à l’étymologie, d’écrire un « non-temps » : l’histoire qui est décrite n’est pas celle qui a été, mais celle qui « aurait pu être ». Le projet de Louis-Sébastien Mercier dans L’An 2440 est quelque peu différent ; présentant un de ses rêves, il décrit ce qu’est Paris sept siècles après sa naissance et le compare, en des termes peu flatteurs, à la ville qu’il connaît : il s’agit en fait de son programme politique et philosophique, qui accorde une place importante à la justice et à la raison.

A partir du XXe siècle, les textes dystopiques sont de plus en plus nombreux et montrent comment un idéal de perfection ou une idéologie peut conduire au désastre. Les supports ou vecteurs du discours sont variés : livres, bandes dessinées, films et même jeux vidéo.

Anne-Sophie Traineau-Durozoy