Le féminisme dans l'utopie du Phalanstère de Charles Fourier
François-Marie Charles Fourier (1772-1837) est l'auteur d'une doctrine socialiste, définie dans la Théorie des quatre mouvements et des destinées générales, publiée anonymement en 1808. Sa doctrine, destinée à conduire les individus au bonheur, servit de fondement à l’École Sociétaire créée par le principal vulgarisateur de Charles Fourier, Victor Considérant.
Charles Fourier critique la Civilisation, propose une transformation radicale de la société et s'appuie sur une démarche expérimentale pour la réaliser.
Le Phalanstère : le manoir de la phalange
La théorie de Charles Fourier est un plan social construit en réaction au désordre de l'industrialisation. Il fonde ainsi le phalanstère qui est la structure de base d'une société basée sur l'harmonie universelle. Pour cela, la liberté doit être effective pour tous. Les phalanstériens pratiquent plusieurs métiers, développant ainsi diverses facultés. Ce système serait la base du bonheur social et permettrait la réalisation des désirs des hommes. Selon la théorie des passions de Fourier, l'amour est le fondement de l'ordre social et celui-ci retrouvera son équilibre lorsque les passions de l'individu seront libérées du bâillon de la civilisation. Il distingue douze grandes passions chez l'homme telles que l'enthousiasme, le besoin de rivalité et le besoin de changement qui permettent d'organiser le travail en Harmonie. Le besoin de changement permet de rendre le travail attrayant pour l'individu en proposant diverses tâches et non plus une seule comme dans la civilisation. Le travail, le talent et le capital sont associés pour le bon fonctionnement de la communauté du Phalanstère.
En 1846, Victor Considérant publie un ouvrage Exposition abrégée du système phalanstérien de Fourier, où il précise le fonctionnement du phalanstère qui se base sur l'association volontaire ; les individus unissent leurs capitaux, leurs ressources et leurs forces. Cette organisation permettrait des économies et présenterait des avantages. Ainsi, il faudrait une commune d'environ 2000 personnes qui s'unissent pour substituer une propriété sociétaire ou associée à la propriété individuelle morcelée. Mais il faudrait également que les 400 familles se regroupent : au lieu d'avoir 400 cuisines, Fourier propose d'en construire une seule grande où chaque personne (hommes, femmes et enfants) qui a des aptitudes et un penchant pour cela fait la cuisine pour l'ensemble de la commune. Cette idée est liée à la création du phalanstère, un édifice vaste, varié dans ses dispositions (de goût, de rang et de fortune) qui pourrait accueillir 400 à 500 familles. Phalanstère signifie étymologiquement le manoir de la phalange, la phalange industrielle étant le nom donné à la population.
Sans les femmes, point de salut !
« La nature distribue aux deux sexes ; par égale portion, l'aptitude aux sciences et aux arts. »
Charles Fourier
La femme est l'avenir de l'unité universelle. Pour Fourier, l'émancipation des femmes est la condition sine qua non de la réussite de l'Harmonie.
À ce sujet, Charles Fourier écrit dans la Théorie des quatre mouvements et des destinées générales : « Les progrès sociaux et changements de période s'opèrent en raison du progrès des femmes vers la liberté ; et les décadences d'ordre social s'opèrent en raison du décroissement de la liberté des femmes. »
Pour lui, la condition d'esclavage dque connaissent les femmes est due à leur absence d'éducation. La femme doit étouffer son caractère et donc ses ambitions. Il veut sortir la femme de son statut de femme au foyer. Selon lui, elle doit maîtriser la connaissance théorique autant que l'homme. Ainsi, dans la Civilisation, la ménagère est harassée par différentes tâches, tandis qu'en Harmonie, elle n'en aura qu'une seule puisque les tâches seront partagées.
« L'harmonie ne commettra pas comme nous la sottise d'exclure les femmes de la médecine et de l'enseignement pour la réduire à la couture et au pot. »
Charles Fourier
Charles Fourier donne un exemple sur les récompenses liées au travail en Harmonie. Une ménagère civilisée recevra de son travail au mieux un compliment sur son potager, tandis que la ménagère d’harmonie recevra la palme du meilleur potager et ira de récompenses en récompenses.
Cependant Fourier incite les femmes à exercer des métiers d’hommes et non l’inverse. Il faut restituer à chacun ses droits de nature mais pas les dénaturer. Fourier a pu être qualifié d’antiféministe à vouloir maintenir les femmes dans leur rôle traditionnel ; cependant, le fonctionnement des femmes dans la société du phalanstère donne aux femmes beaucoup de libertés, ce qui n’est pas le cas dans la société civilisée.
Fourier souhaite une société où les hommes apprendraient à ne pas mépriser les femmes et où les femmes recevraient les mêmes enseignements et auraient les mêmes ambitions que les hommes. La société phalanstérienne prévoit des Séristères pour les nourrissons qui seront formés dès l'âge de six mois ; ainsi ils développeront leurs sens, notamment par la musique. Cela aurait pour résultat qu'à l'âge de trois ans, l'enfant du Séristère serait plus intelligent qu'un enfant de dix ans civilisé. De ce fait, tous les enfants sont élevés à l'identique. Aussi, Charles Fourier considère que, jusqu'à l'âge de trois ans, il faut confondre les filles et les garçons et ne pas faire de distinction de sexe, afin de développer le penchant féminin des garçons et le penchant masculin des filles.
« Les deux sexes sont dupes car si on ne découvre pas la destinée sociale des femmes, on manque par contrecoup celle des hommes. »
Charles Fourier
Dans Le Nouveau Monde Amoureux, œuvre posthume, Charles Fourier évoque l'amour en Harmonie. Selon le théoricien, dans la société civilisée, le mariage est une absurdité imposée à deux personnes qui sont obligées de vivre ensemble jusqu'à la fin de leurs jours, en dépit de leurs sentiments. Le mariage, même d'amour, tourne toujours à la monotonie, à l'adultère. Le mariage est une invention de la civilisation qui est en contradiction avec la polygamie naturelle. Aussi, il considère que la servitude conjugale participe à l'avilissement des femmes. Il est donc pour la liberté des jeunes filles ainsi que pour l'institution du divorce. L'amour et les libération des passions sont la base du fonctionnement en Harmonie. La liberté amoureuse devient une politique sociale pour le bien être des hommes et des femmes.
« La fidélité perpétuelle en amour est contraire à la nature humaine. »
Charles Fourier
Aucun comportement amoureux n'est interdit ; loin d'une simple utopie, Charles Fourier donne les bases d'une tolérance amoureuse où les pratiques sexuelles et amoureuses normalement condamnées dans la Civilisation, comme l'homosexualité, sont tolérées. Bien plus qu'une grande liberté accordée aux femmes, Fourier donne une grande liberté sexuelle, et son ouvrage est repris en mai 68.
Héloïse Morel