Poitiers, une cité idéale maçonnique ?
Institution discrète, la Franc-maçonnerie française imagine et façonne en loge, depuis le XVIIIe siècle, sa société utopique.
« D (demande) – Qu'est-ce que la Franc-maçonnerie ?
R (réponse) – C'est une institution philanthropique, philosophique et progressive, ayant pour objet l'exercice de la bienfaisance, l'étude de la morale universelle, des sciences et des arts et les pratiques de toutes les vertus.
D – Qu'est-ce qu'un Maçon ?
R – C'est un homme libre et de bonnes mœurs, également ami des pauvres et des riches s'ils sont vertueux »
Instruction pour le grade d'apprenti au Rite Français, 1900, p. 12
Parallèlement à la culture républicaine du XIXe siècle, la Franc-maçonnerie philosophe sur l'évolution de l'Humanité, encourage l'antipathie pour la tyrannie et le fanatisme, développe l'esprit de liberté et de fraternité, qu'elle considère comme inhérentes à la République et la Démocratie, et lutte contre l'ultramontanisme et l'endoctrinement religieux, corollaire de l'emprise de l'Église sur les esprits. C’est une culture rationaliste opposée à la foi et aux discours religieux (Serge Berstein, 1999), remparts à la liberté, qui veut amener l'Humanité vers l'âge scientifique.
Vitrine du spectre social urbain poitevin, la Franc-maçonnerie diffuse au cœur des villes et villages son message. A l'occasion du 14 juillet 1903, les loges « Solidarité » de Poitiers et « Solidarité Sociale » de Neuville remettent à la ville une statue nommée La Liberté éclairant le Monde. Elle est installée, lors d'une cérémonie officielle, sur la place du Pilori, lieu où fut exécuté le général Berton en 1822. Acceptée officiellement par le conseil municipal de Poitiers, l’érection de la statue témoigne des liens qui existent entre l'administration locale et la Franc-maçonnerie.
Elle représente une femme, allégorie de la Liberté tenant du bout du bras droit un globe. Symbole de l'universalité du message maçonnique, elle apporte la lumière à la population, assimilant ainsi le globe à la création du Grand Architecte de l'Univers.
Sur la face antérieure du socle en granite est gravée en peinture rouge l'inscription « Aux défenseurs de la liberté ». Les Frères se positionnent, au sein de la cité, comme un bouclier contre l'endoctrinement, une étape supplémentaire dans le combat contre le cléricalisme. Le monument est le héraut des libertés, notamment de la liberté de conscience.
Sur la face postérieure est inscrite une pensée de Montesquieu : « Quand l'innocence des citoyens n'est pas assurée, la liberté ne l'est pas non plus. » Il s’agit peut-être d’une référence à l'affaire Dreyfus qui, depuis 1894, divise la France et déchaîne l'opinion publique. Les loges de Poitiers et de Neuville comme le Grand Orient de France se sont rapidement prononcées pour le camp dreyfusard.
Puis, sur des cartouches qui ornent le socle, sont inscrits les mots « Poitiers, Liberté, Égalité, Fraternité ». Le nom de Poitiers est sur le même plan que la devise révolutionnaire. Ainsi, l'union citoyenne est garante de liberté et d'égalité.
Pour Thomas More, Utopia désigne un lieu qui ne peut être localisé, voire imaginaire. Ainsi, la cité idéale, utopique, des Frères de Poitiers doit prendre forme avec le triptyque Liberté, Égalité, Fraternité : la liberté de conscience qui se manifeste par le combat contre le cléricalisme ; l'égalité du citoyen grâce à l'accès à l'éducation et au développement de la pensée scientifique ; la fraternité devant l'adversité, une société unie qui prend soin de l'ensemble de sa population.
Julien Lalu